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[Un souhait…]

Image (fixe ; à 2 dimensions)
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[Un souhait…]
adresse :
. — Paris : L’ Anarchie (1905-1914), (Causeries populaires, impr. des)
description technique (h × l) :
. — 1 affiche (impr. photoméc.) : n. et b. ; x × y cm
notes :
descriptif :


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Un souhait…

Ah ! C’est le jour de l’an !

Le voix claire de l’enfant et la voix cassée du vieillard entonnent la même ballade : la ballade des vœux et souhaits. L’ouvrier à son patron, le débiteur à son créancier, le locataire à son propriétaire, disent la ritournelle de la bonne et heureuse année. Le pauvre et la pauvresse s’en vont par les rues chanter la complainte de la longue vie.

Ah ! Ah ! C’est le jour de l’an !

Il faut que ton rie ! Il faut que l’on se réjouisse. Que toutes les figures prennent un air de fête. Que toutes les lèvres laissent échapper les meilleurs souhaits. Que sur toutes les faces se dessine le rictus de la joie.

C’est le jour de mensonge officiel, de l’hypocrisie sociale, de la charité pharisienne.

C’est le jour du truqué et du faux, c’est le jour du vernie et du convenu.

Les faces s’illuminent et les maisons s’éclairent ! Et la maison est noire et l’estomac est vide ! Tout est apparat, tout est rasade, tout est leurre, tout est tromperie ! La main qui serre la vôtre est une griffe ou une patte. Le sourire qui vous accueille est un rictus ou une grimace. Le souhait qui vous reçoit est un blasphème ou une moquerie.

Dans la curée âpre des appétits, c’est l’armistice, c’est la trêve. Dans l’âpre curée des batailles, c’est le jour de l’an… On entend l’écho qui répète la voix du canon et qui redit le sifflet de l’usine. La mitrailleuse fume encore et encore la chaudière laisse échapper la vapeur. L’ambulance regorge de blessés et l’hôpital refuse des malades. L’obus a ouvert ce ventre et la machine a coupé ce bras. Les cris des mères, les pleurs des enfants font retentir à nos oreilles l’affreuse mélodie de la douleur, toujours la même.

Le drapeau blanc flotte : c’est la trêve pour une heure et pour un jour, les mains se tendent, les faces se sourient, les lèvres bégaient des mots d’amitié ; ricanements d’hypocrisies et de mensonges :

Bonne vie à loi, propriétaire, qui me jettera sur le pavé de la ville sans s’occuper du froid ou de l’averse ?

Bonne vie à toi, patron qui me diminuas ces jours derniers, parce que faiblissait mon corps après la dure maladie que je contractai à ton service ?

Bonne vie, bonne année à cous tons, boulangers, épiciers, débitants qui enserrez ma misère de vos péages honteux et qui tenez commerce de chacun de mes besoins, de chacun de mes désirs !

Et bonne vie et bonne santé à vous mâles et femelles lâchés à travers la civilisation ; bonne vie à toi. ouvrier honnête, à toi, maquereau régulier ; à toi cataloguée du mariage, à toi, inscrite aux livres de police, à vous tous dont chacun des gestes, chacun des pas est un geste et un pas contre ma liberté, contre mon individualité ?

Ah ! Ah ! bonne vie et bonne santé ?… — Vous veules dm vieux, en voilà :

Que crève le propriétaire qui détient la place ou j’étends mes membres, et qui me vend l’air que je respire !

Que crève le patron qui, de longues heures impose ses exigences à la faiblesse de mon corp !

Que crèvent ces loups âpres à la curée qui prélèvent la dîme sur mon coucher, mon repos, mes besoins, trompant mon esprit et empoisonnant mon corps ! Que crèvent les catalogués de tous sexes avec lesquels les désirs humains ne se satisfont que contre promesses, fidélités, argent ou platitudes ! Que crèvent l’officier qui commande le meurtre et le soldat qui lui obéit. Que crèvent le député qui fait la loi et l’électeur qui fait le député. Que crève le riche qui s’accapare si large part du butin social, mais que crève surtout l’imbécile qui lui prépare sa pâtée.

Ah ! Ah ! C’est le Joue de l’an !

Regardez donc autour de vous. Vous sentez plus vivant que jamais le mensonge social. Le plus simple d’entre vous devine partout l’hypocrisie gluante des rapports sociaux. Le faux apparait à tous pas. Ce jour-là c’est la répétition de tous les autres jours de l’an. La vie actuelle n’est faite que de mensonge et de leurre. Les hommes sont en perpétuelle bataille… Les pauvres se baladent du sourire de la concierge au rictus du bistro et les riches de l’obséquiosité du laquais aux flatteries de la courtisane. Pues glabres et Masques de joie.

La caresse de la putain a comme équivalent le sourire de la femme mariée. El la défense du maquereau est pareille à la protection de l’époux. Truquages et intérêts.

Pour que nous puissions chanter la vie, un jour, en toute vérité, il faut, disons-le bien hautement, laisser le convenu et faire un âpre souhait :

Que crève le vieux monde avec son hypocrisie, sa morale, ses préjugées qui empoisonnent l’air et empêchent de respirer. Que les hommes décident de dire, ce qu’ils pensent. Faisons un jour de l’an où l’n ne fera pas de souhaits et de vœux mensonge, mais où, tout au contraire on videra sa pensée à la face de tous.

Ce jour là, les hommes comprendront qu’ils n’est véritablement pas possible de vivre dans une pareille atmosphère de luttes et d’antagonismes. Ils chercheront à vivre d’autre façon. Ils voudront connaitre les idées, les choses et les hommes qui les empêchent de venir à plus de bonheur. La Propriété, la Patrie, les Dieux, l’Honneur courront risque d’être jetés à l’égout avec. ceux qui vivent de ces puanteurs.

Et il sera universel, ce souhait, qui semble si méchant et qui est pourtant rempli de douceur :

Que crève donc le vieux monde !


sources :

L’un des deux placards signalés dans L’Anarchie n° 247 (30 décembre 1909) : «  Aux copains
Les demandes de placards pour “L’Hiver” et “Un souhait” [1] ont dépassé de beaucoup nos prévisions et de nombreux copains n’ont pu avoir satisfaction. Une autre fois nous ferons le nécessaire pour que cela ne se produise plus, mais en attendant, ceux qui nous ont envoyé de l’argent pour ces placards nous diront ce qu’ils veulent en échange ou s’ils désirent que le montant leur soit retourné
 »

Notes

[1Appelés « Voilà l’hiver ! » et « Un souhait… » dans L’Anarchie n° 245 (16 décembre 1909).

cotes :