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[Foutre !]
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Image (fixe ; à 2 dimensions)
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- [Foutre !]
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- . — [S.l.] : [s.n.], [ ?]
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- . — 1 affiche (impr. photoméc.) : n. et b. ; 41 × 23 cm
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Foutre !
Les Éditions Champ Libre viennent d’avoir l’impertinence de rééditer La Misère en milieu étudiant, sans tenir aucun compte de la ferme protestation que leur avaient adressée les personnes les plus autorisées et les plus estimables ; des personnes qui, à Strasbourg comme ailleurs, ont pris une part éminente au mouvement de contestation en 1966 et même quelque peu avant, et dont on sait de reste qu’en aucune circonstance elles ne se sont abaissées à tirer la moindre rémunération des entreprises de l’édition commerciale. Tous ceux qui connaissent les mérites passés et présents de ces personnes comprendront assurément les raisons de leur indignation. Leur cause est celle de tous ceux qui leur ressemblent.
Les néfastes Éditions Champ Libre, en effet, ne craignent pas maintenant de faire mettre en vente le célèbre pamphlet de Strasbourg, le transformant donc tout à coup en pure et simple marchandise, et par le fait même en texte contre-révolutionnaire. On n’ignorait pas, pourtant, que la destination évidente de ce pamphlet était la diffusion absolument gratuite.
Le public a été averti de cette révoltante récupération, la plus notable peut-être de la dernière décennie, par un document parfaitement convaincant qu’a signé Mustapha Khayati lui-même, mais qui exprime aussi très fidèlement le sentiment de quelques autres.
Des bourgeois ou des bureaucrates, pour nuire à la contestation, ont parfois insinué que certains de ceux qui la représentent se souciaient assez peu de la réalité concrète, surtout là où elle les gêne, et ne croyaient pas tout ce qu’ils disent, puisqu’on les voit le plus souvent se dérober sous des sophismes qui ne font même pas bon ménage à l’intérieur d’une seule page. On ne sait pas trop qui cette calomnie prétendait viser. Il en est en tout cas quelques-uns - et s’il n’en reste que deux nous serons ceux-là - qui ne sont point faits pour se déguiser sous la perruque de Tartuffe, et qui exposent bien franchement et bien honnêtement à la face du monde, quand ils croient devoir prendre position sur un terrain pratique, tout ce qu’ils en pensent et tout ce qu’ils y font Ceux-là ne se paient pas de creuses dialectiques : ils appellent un chèque un chèque. Et ils ont acquis, peut-être, quelque compétence et quelques titres pour apprendre à ceux qui l’ignorent ce que c’est qu’un marchand.
Aussi bien, dans la présente affaire, la pire malveillance sera réduite au silence, car rarement la théorie révolutionnaire a été fondée sur une base si solide, et la justesse de son application pratique sera transparente aux yeux de tous. On ne peut nier que quiconque vend à quelque prix que ce soit quelque chose, qu’il s’agisse d’une tonne de blé, d’un exemplaire d’un livre ou d’une heure de son temps, participe au système marchand, qui est mauvais. Ceux qui ont plus à vendre que les autres sont les pires : petits ou grands possédants du système de la vénalité. Tous ceux qui vendent, ou font vendre, des textes révolutionnaires, ne sont rien d’autre que des marchands, au sens scientifique du terme, mais des marchands plus perfides que tous les autres, et souvent même plus riches. Quand la Révolution, qui ne peut que se vouloir au delà de ce néfaste système, juge bon de communiquer ses écrits, elle les confie tout innocemment à l’édition sauvage, et c’est en quoi l’édition sauvage n’est pas marchande.
Ce principe apporte, on en conviendra, un progrès décisif à la critique révolutionnaire, progrès qui permet en même temps une simplification théorique dont elle avait fortement besoin : ce ne sont plus les textes qui sont à juger désormais, mais uniquement les éditeurs. Est-il marchand ? Est-il sauvage ? Voilà la pierre de touche de la valeur d’usage, et le credo de la praxis globale. L’édition marchande est coupable, quoi que veuillent dire les livres publiés Au contraire, n’importe quoi peut être écrit dans la nouvelle innocence de l’édition sauvage, ou moyenne-sauvage. L’édition sauvage, surtout quand elle peut utiliser les techniques de reproduction moderne, coûte très peu : elle permet donc aux prolétaires qui l’animent de se livrer sans entraves à leur pratique favorite, nous voulons dire celle du don subversif, en offrant gratuitement les textes, notamment dans les librairies. Il convenait de couronner l’édition sauvage de la théorie par une théorie de l’édition sauvage. Nous la donnons ici avec cette modestie collective que l’on nous connaît depuis longtemps, et qui nous protège de tout vedettariat Mais comme chacun reconnaîtra notre bonne foi et notre cohérence, on pourra aussi nous reconnaître à cette rigoureuse lumière que nous avons créée nous-mêmes pour la circonstance.
Qu’est-il, en effet, de plus choquant qu’un ouvrier qui fait grève pour autogérer la production des montres, alors que la montre est essentiellement l’instrument de la mesure du temps esclavagiste ? C’est évidemment un play-boy fortuné qui verse dans le snobisme d’employer son argent à publier des vérités critiques, alors que l’argent est l’instrument essentiel de la société du mensonge. L’Histoire nous confirme autant que le bon sens. S’est-il jamais trouvé un aristocrate pour approuver la révolution de 1789, ou un bourgeois pour financer Bakounine ? Mais les récupérateurs de notre temps ne redoutent aucun paradoxe.
Les révolutionnaires sincères sont si bien servis par l’édition sauvage qu’ils n’ont qu’à laisser sans regret l’édition officiellement commerciale aux misérables qui la lisent, ou même se compromettent jusqu’à y travailler sur commande ; encore heureux les jours où ils n’en ont pas tiré vainement les sonnettes !
N’y aurait-il pas, en vérité, quelque chose d’insolite, de choquant, de jamais vu, à laisser vendre un livre dans lequel on condamne le système marchand ? Qui croirait alors à la sincérité des exigeantes convictions de l’auteur, ou des co-auteurs s’ils sont plusieurs ? Imagine-t-on, par exemple, le Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations diffusé autrement que par un éditeur sauvage ? On en aurait ri.
Mais les paroles sont insuffisantes pour soutenir le bon droit piétiné : il faut agir, et l’occasion est Justement là.
Sait-on bien que le même texte que Champ Libre se permet de vendre 8 francs est disponible depuis huit mois dans les bonnes librairies, et pour le prix de 6 francs seulement, en édition sauvage ? Cette édition sauvage est due aux courageuses Editions Zoé, de Genève. C’est celle-là que tout vrai révolutionnaire se fera un devoir d’acheter pour boycotter et miner le ploutocrate de Champ Libre.
Les Éditions Zoé, de Genève, sont sauvages puisque J.-P. Bastid, le collaborateur de Mustapha Martens, craignant d’excéder l’honnête sauvagerie des Editions Lattès et des Presses de la Cité, ou des ultra-anarchistes de la Série Super-Noire, y apporte une partie de son utile production Les Éditions Champ Libre sont tout le contraire, puisqu’elles ont autrefois refusé l’étonnant De la grève sauvage à l’autogestion généralisée que leur présentait Raoul Ratgeb, ce qui a contraint ce révolté à porter son manuscrit à l’édition sauvage, chez Bourgois-10-18. Ces mêmes Éditions Champ Libre s’étaient du reste déjà démasquées auparavant en refusant les services de Khayati lui-même, et de Vaneigem aussi, qui leur proposaient, contre une somme modique, de se charger de compiler hâtivement des anthologies de textes subversifs des siècles précédents, parce qu’il importe de les faire connaître présentement à ceux qui sauront s’en servir. On voit par ces exemples si variés, mais qui tous, comme par hasard, offensent les plus dignes signatures de l’édition sauvage, et un stock de personnalités si apparentées et si ressemblantes dans toutes les métamorphoses de leur rigueur subversive qu’il est presque impossible de distinguer les unes des autres, combien l’activité, essentiellement commerciale, des détestables Éditions Champ Libre est finalement inacceptable.
Ô vertu subjective-radicale, tu n’es qu’un mot ! Estimerait-on pour rien les nsques personnels immenses que nous avons courus jadis, nos années de peines et de fatigues constantes au service de la révolution, et notre fort long refus de toute concession ? Si l’on nous négligeait alors, sous le prétexte que l’on ignorait tous nos talents, que nous objectera-t-on, à présent qu’on les connaît ? N’est-ce pas assez que les vampires de la mine et du rail sucent notre sang du matin au soir dans les usines où ils nous exploitent ? Il faut encore souffrir qu’un nanti se rie de nous, et ramasse de l’argent à la pelle, alors qu’il n’en a même pas besoin, en livrant dans tous les hyper-marchés, à la canaille consommatrice qui en fait ses délices, Cieszkowski, Anacharsis Cloots, Bruno Rizzi !
DES PROLÉTAIRES
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