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Des affiches et des stickers (in La Mauvaise herbe vol. 11 n° 2)

2022

Cet article repris de La Mauvaise herbe volume 11 n° 2 (automne 2012, p. 29-30) montre une situation de l’affichage militant au Canada et plus particulièrement au Québec.

Des affiches et des stickers

Qu’est-ce qu’on pourrait dire au sujet des affiches, une question à première vue si évidente ? On organise un événement et puis on fait une affiche pour l’annoncer. Mais c’est intéressant d’aborder plusieurs aspects, plus spécifiquement concernant des affiches qui n’annoncent pas d’événements et dont le but est d’envoyer un message subversif. Je pense par exemple à certaines affiches pendant la grève étudiante ou des collants antiélectoraux et d’autres collants anarchistes.

Les affiches sont dans la rue. Devant les yeux de tous. La possibilité de tomber sur un site obscur, par contraste, est minée.

À qui la rue ?

Une anecdote.

Cet été pendant les élections, une manif antiélectorale avait été annoncée pour la soirée du premier débat des chefs de parti. La manif devait partir de la Place Pasteur sur St-Denis et se diriger vers le bâtiment de Radio-Canada dans le centre-sud.

« À qui la rue, à nous la rue  » scandaient les gens en envahissant St-Denis, direction sud. Deux coins de rue plus loin, une autopatrouille banalisée est arrivée à côté du contingent et un flic avec un mégaphone a annoncé qu’il fallait quitter la rue et gagner le trottoir. Les gens faisaient abstraction de lui et continuaient à avancer. L’autopatrouille est partie.

Un coin de rue plus loin, l’autopatrouille est revenue et une autre annonce plus menaçante a été communiquée par le flic. En même temps, des policiers en vélo à côté de nous et en arrière nous ordonnaient de gagner le trottoir… ce qu’on a fini par faire.

Tassés ainsi, on n’était quand même pas pour scander « À qui le trottoir, à nous le trottoir » !

Alors voilà. La rue leur appartenait. Ils étaient plus forts et nous on était peu nombreux, des radicaux en plus et donc illégitimes.

Mais si les autorités sont en mesure de l’occuper, à la limite avec l’anti-émeute, il existe en même temps une lutte pour l’espace. Plusieurs fois pendant la grève étudiante, par exemple, les flics se trouvaient carrément sur la défensive ; ils ne contrôlaient plus l’espace. Aussi, de nombreuses manifs ont été déclarées illégales mais les gens continuaient à manifester — un pied-de-nez aux autorités.

Les affiches sont une manière, parmi d’autres, de réapproprier l’espace et d’envoyer un message radical sans la censure des médias. Les médias n’aiment pas les radicaux. De leur part on s’attend surtout à des salissages et des distorsions.

« Espace public »

On parle d’habitude d’espace privé et d’espace public, des catégories floues et problématiques. L’espace public en effet n’appartient pas au public mais à l’État. En ce qui concerne les affiches, il s’agit du gouvernement municipal. Mais l’espace est réclamé parallèlement par le gouvernement provincial et le gouvernement fédéral. Certaines propriétés appartiennent au gouvernement fédéral (des édifices, des ponts, des casernes, etc.). Cet État proclame qu’on lui appartient, qu’on est des citoyens canadiens. Le gouvernement actuel à Québec, pour sa part, voudrait fonder un nouvel État et proclame qu’on doit appartenir à cet État-là. Tous ces gouvernements se renforcent mutuellement et affirment que l’espace leur appartient et pas au peuple. Leurs flics, cours et prisons sont là pour le rappeler.

À qui l’Espace ?

La plupart des endroits où on pose des affiches appartiennent à la Ville. C’est possible aussi de louer de l’espace dans le métro, sur des autobus, dans les abribus, etc. pour faire de la publicité, mais ça coûte trop cher. Cet espace acheté, protégé habituellement par une couche de plastique épaisse transparente, est considérée légitime et nos affiches illégitimes. On se réapproprie donc l’espace en mettant nos affiches où on veut. Ce qui ne fait évidemment pas l’affaire de tous et les afficheurs pris en flagrant délit risquent de recevoir des tickets.

En 2000, l’activiste Jaggi Singh a reçu une contravention quand il était en train de poser une affiche pour le Salon du livre anarchiste. Au lieu de payer l’amende, il a contesté le règlement et a plaidé non coupable. Après avoir perdu en Cour municipale et en Cour supérieure, en 2010 il a gagné en Cour d’appel. La cour a donné à la Ville six mois pour trouver une solution qui permettrait plus de liberté d’expression. Puisque la Ville n’a rien fait, leur règlement contre l’affichage a été déclaré illégal. Si vous recevez un ticket vous n’avez qu’à le contester et on laissera tomber l’accusation. C’est à noter que ceci ne concerne que la propriété publique ; si vous mettez une affiche sur la propriété privée, le propriétaire peut toujours vous poursuivre. Attention !

Il existe aussi ceux qui n’aiment pas les affiches radicales. La plupart des gens n’aurait pas touché aux collants antiélectoraux, par exemple, même s’ils n’étaient pas d’accord. Mais certains individus capotaient et employaient de grands moyens pour les enlever. On les grattait même avec des clefs ou des petits couteaux ! Il faut dire que toute affiche anar posée avec du tape et pas avec de la colle risque de ne pas rester longtemps.

De la créativité

Quant au contenu et à la présentation des affiches, les choix sont innombrables. Une phrase ou un slogan avec une image peuvent être suffisants (le désavantage est de trop simplifier). Un texte assez long est possible aussi. Mais il faut qu’il soit bien lancé si on s’attend à ce que les gens lisent tout ça sur un poteau !

Des détournements peuvent être utilisés (prendre la propagande de nos ennemis et y insérer des éléments qui changent le contexte). L’humour, la diatribe, l’onirique et tant d’autres moyens d’exprimer notre dégoût envers ce monde et notre goût de vivre une vie vraiment différente.