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[Le criminel]

Image (fixe ; à 2 dimensions)
titre :
[Le criminel]
adresse :
. — Roubaix ; Tourcoing : le Combat… (1905-1914), (Imprimerie communiste (Roubaix))
description technique (h × l) :
. — 1 affiche (impr. photoméc.) : n. et b. ; x × y cm
notes :
descriptif :


[ texte : placard à distribuer ]

texte :

Le criminel

C’est toi le criminel, — qu’on appelle peuple, — puisque c’est toi le souverain. Tu es, il est vrai, le criminel inconscient et naïf.

Tu votes et tu ne vois pas que tu es ta propre victime.

Pourtant n’as-tu pas encore assez expérimenté que les députés, qui te promettent de te défendre, comme tous les gouvernements du monde présent et passé, sont des menteurs et des impuissants ?

Tu le sais et tu t’en plains ! Tu le sais et tu les nommes ! Les gouvernants quels qu’ils soient, ont travaillé, travaillent et travailleront pour leurs intérêts, pour ceux de leurs castes et de leurs coteries.

Où en a-t-il été et comment pourrait-il en être autrement ? Les gouvernés sont des subalternes et des exploités ; en connais-tu qui ne le soient pas ?

Tant que tu n’auras pas compris que c’est à toi seul qu’il appartient de produire et de vivre à ta guise, tant que tu supporteras — par crainte, — et que tu créeras toi-même, — par croyance à l’autorité nécessaire, — des chefs et des directeurs, saches-le bien aussi, tes délégués et tes maîtres vivront de ton labeur et de ta niaiserie.

Tu te plains de tout ! Mais n’est-ce pas toi l’auteur des mille plaies qui te dévorent ?

Tu te plains de la police, de l’armée, de la justice des casernes, des prisons, des administrations, des lois, des ministres, du gouvernement, des financiers, des spéculateurs, des fonctionnaires, des patrons, des prêtres, des proprios, des salaires, des chômages, du parlement, des impôts, des gabelous, des rentiers, de la cherté des vivres, des fermages et des loyers, des longues journées d’ateliers et d’usines, de la maigre pitance, des privations sans nombre et de la masse munie [infinie] des iniquités sociales.

Tu te plains ; mais tu veux le maintien du système où tu végètes. Tu te révoltes parfois, mais pour recommencer toujours.

Pourquoi es-tu le dépouillé et le gouverné ?

C’est toi qui produis tout, qui laboures et sèmes, qui forges et tisses, qui pétris et transformes, qui construis et crées, qui alimentes et fécondes !

Pourquoi donc ne consommes-tu pas à ta faim ? Pourquoi es-tu le mal vêtu, le mal nourri, le mal abrité ? Oui pourquoi le sans pain, le sans soulier, le sans demeure, oui, le sans patrie ?

Pourquoi n’es-tu pas ton maître ? Pourquoi te courbes-tu, obéis-tu, sers-tu ? Pourquoi l’inférieur, l’humilié, l’offensé, le serviteur, oui, l’esclave ?

Tu élabores tout et tu ne possèdes rien.

Tout est par toi et tu n’es rien.

Je me trompe. Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères, celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes.

Tu es le volontaire valet, le domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître.

Tu es le sergot, le geôlier et, le mouchard. Tu es le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Tu es l’employé fidèle, le serviteur dévoué, le paysan sobre, l’ouvrier résigné de ton propre esclavage. Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ?

Je te hais, moi, homme libre, moi, anarchiste.

Je te hais à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes bayonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote — et que tu m’imposes par ton imbécilité.

C’est bien toi le souverain, que l’on flagorne et que l’on dupe. Les discours t’encensent. Les affiches te raccrochent ; tu aimes les âneries et les courtisaneries : sois satisfait, en attendant d’être fusillé aux colonies, d’être massacré aux frontières, à l’ombre ensanglantée de ton drapeau.

Il se peut que ta bêtise te plaise. Tes souffrances te sembles légères à côté des inquiétudes et des maux qui t’assailliraient, crains-tu, si tu venais à briser toutes lois, toutes stériles, toutes dominations.

Tu préfères ta désolation actuelle à l’aléa de l’intégrale liberté. La peur du large, que tu ne veux pas même entrevoir, l’effroi d’une vie individuelle et sociale sans barrière te font aimer le niche et la prison.

Reste donc pourceau, auprès de ton auge de fange. Rampe, cloporte grouillant, au fond de la mare et sous les décombres pourrissants, dont tu n’as ni l’intelligence ni le courage de sortir.

Si des langues intéressées pourlèchent ta fiente royale, ô souverain ! Si des candidats affamés de commandement et bourrés de platitudes, brossent l’échine et la croupe de ton autocratie de papier (ils te les caresseront ensuite avec les triques de leurs législations). — Si tu te grises de l’encens et des promesses que te déversent ceux qui t’ont toujours trahi, te trompent et te vendront demain ; — c’est que toi-même tu leur ressembles. C’est que tu ne vaux pas mieux que la horde de tes faméliques adulateurs. C’est que, n’ayant pu t’élever à la conscience de la dignité et de l’indépendance mutuelle, tu es incapable de t’affranchir par toi-même, tu es encore indigne d’être libre.

Allons, vote bien ! Aie confiance en tes mandataires. Crois en tes élus. Livre-toi à tes mamelucks.

Mais cesse de te plaindre. Les jougs que tu subis, c’est toi-même qui te les imposes. Les crimes dont tu souffres, c’est toi c’est toi le criminel.

Peut-être après de trop longues épreuves finiras-tu par entendre et par comprendre !

Quoi qu’il advienne, des hommes, que tu méprises et outrages, libérés de toutes entraves, affranchis de toutes contraintes, débarrassés de la peur du semblable, émancipés de l’oppression d’n haut aussi bien que de la tyrannie du nombre ; des hommes, persécutés et suppliciés parce qu’ils voulaient vivre libres dans une société devenue humaine, t’auront clamé la vérité.

Un groupe d’hommes libres

Vu le candidat : Knockaert

Imprimerie communiste, rue du Pile, 8, Roubaix.


sources :

Affiche parue en pages centrales de Le Combat de Roubaix-Tourcoing, 1re année,n° 11 (6 mai 1906).

Texte du placard déjà paru — presque identiquement — dans L’Anarchie, n° 47 (1er mars 1906).

cotes :
 

1906

1906

1914
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