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[Aux électeurs... ...il est élu]

Image (fixe ; à 2 dimensions)
titre :
[Aux électeurs... ...il est élu] / Théophile Alexandre Steinlen
adresse :
. — Genève : Noir éditions, [ca ]
description technique (h × l) :
. — 1 affiche (impr. photoméc.) : n. et b. ; 62 × 44 cm
notes :
descriptif :
Symbole(s) utilisé(s) :

[ texte ; dessin (caricature d’un âne élu à la tribune) de Steinlen ]

texte :

Aux électeurs...

Électeurs,
Je m’appelle Nul, comme le sont mes concurrents les candidats.

Je suis blanc, comme le sont nombre de bulletins qu’on s’obstinait à ne pas compter et qui, maintenant, me reviendront.

Mon élection est assurée.

Vous comprendrez que je parle franc.

Citoyens,
On vous trompe. On vous dit que la dernière Chambre composée d’imbéciles et de filous ne représentait pas la majorité des électeurs. C’est faux.

Une Chambre composée de députés jocrisses et de députés truqueurs représente. au contraire, à merveille, les électeurs que vous êtes. Ne protestez pas : une nation a les délégués qu’elle mérite.

Pourquoi les avez-vous nommés ?

Vous ne vous gênez pas, entre vous, pour convenir que plus ça change et plus c’est la même chose, que vos élus se moquent de vous et ne songent qu’a leurs intérêts, à la gloriole ou à l’argent.

Pourquoi les renommerez-vous demain ?

Vous savez très bien que tout un lot de ceux que vous enverrez siéger vendront leurs voix contre un chèque et feront le commerce des emplois, fonctions et bureaux de tabac.

Mais pour qui les bureaux de tabac, les places, les sinécures si ce n’est pour les Comités d’électeurs que l’on paye ainsi ?

Les entraineurs des Comités sont moins naïfs que le troupeau.

La Chambre représente l’ensemble.

Et ça, c’est vous !

On vous trompe, bons électeurs, on vous berne, on vous flagorne quand on vous dit que vous êtes beaux, que vous êtes la justice, le droit, la souveraineté nationale, le peuple-roi, des hommes libres. On cueille vos votes et c’est tout. Vous n’êtes que des fruits… des poires.

On vous trompe, on vous trompe sans cesse. On vous parle de fraternité, et jamais la lutte pour le pain ne fut plus âpre et meurtrière.

On vous parle de patriotisme, de patrimoine sacré — à vous qui ne possédez rien.

On vous parle de probité ; et ce sont des écumeurs de presse, des journalistes à tout faire, maitres fourbes ou maîtres chanteurs, qui chantent l’honneur national.

Les tenants de la République, les petits bourgeois, les petits seigneurs sont plus durs aux gueux que les maîtres des régimes anciens. On vit sous l’œil des contremaîtres.

Les ouvriers aveulis, les producteurs qui ne consomment pas, se contentent de ronger patiemment l’os sans moelle qu’on leur a jeté, l’os du suffrage universel.

Et c’est pour des boniments, des discussions électorales qu’ils remuent encore la mâchoire — la mâchoire qui ne sait plus mordre.

L’ignominie de l’heure présente est telle qu’aucun candidat n’ose défendre cette Société. Les politiciens bourgeoisants, réactionnaires ou ralliés, masques ou faux-nez républicains vous crient qu’en votant pour eux, ça marchera mieux, ça marchera bien. Ceux qui vous ont déjà tout pris vous demandent encore quelque chose :
Donnez vos voix, citoyens !

Les mendigots, les candidats, les tirelaines, les soutire-voix, ont tous un moyen spécial de faire et refaire le Bien public.

Écoutez les braves ouvriers, les médicastres du parti : ils veulent conquérir les pouvoirs .. afin de les mieux supprimer.

D’autres invoquent la Révolution, et ceux-là se trompent en vous trompant. Ce ne seront jamais des électeurs qui feront la Révolution. Le suffrage universel est créé précisément pour empêcher l’action virile, Charlot s’amuse à voter...

Et puis quand même quelque incident jetterait des hommes dans la rue, quand bien même, par un coup de force, une minorité ferait acte, qu’attendre ensuite et qu’espérer de la foule que nous voyons grouiller — la foule lâche et sans pensée.

Allez ! allez. gens de la foule ! Allez, électeurs ! aux urnes... Et ne vous plaignez plus. C’est assez. N’essayez pas d’apitoyer sur le sort que vous vous êtes fait. N’insultez pas, après coups, les Maîtres que vous vous donnez.

Ces Maîtres vous valent, s’ils vous volent. Ils valent, sans doute, davantage ; ils valent vingt-cinq francs par jour, sans compter les petits profits. Et c’est très bien :
L’Électeur n’est qu’un Candidat raté.

Au peuple du bas de laine, petite épargne, petite espérance, petits commerçants rapaces, lourd populo domestiqué, il faut Parlement médiocre qui monnoie et qui synthétise toute la vilenie nationale.

Votez, électeurs ! Votez ! Le Parlement émane de vous. Une chose est parce qu’elle doit être, parce qu’elle ne peut pas être autrement. Faites la Chambre à votre image. Le chien retourne à son vomissement — retournez à vos députés.

Chers électeurs

Finissons-en. Votez pour eux. Votez pour moi.

Je suis la Bête qu’il faudrait à la Belle Démocratie.

...il est élu


sources :

Reproduction d’un numéro de La Feuille de Zo d’Axa (1897-1899), dessin de Steinlen.

cotes :

Aff0214 - 305156 (cira L)