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« Les affiches », in Le Père Peinard (27 février-6 mars 1898)

1898

Article paru dans Le Père Peinard, 2e série, n° 71 (27 février-6 mars 1898).

Ohé, les bons bougres, vous arrive-t-il de reluquer les affiches qui tapissent les murs ?

Je ne parle pas des affiches en couleurs, qui sont des flambeaux sans prétention et qui illuminent un brin les rues et y fichent une note gaie.

De celles-là, il en est qui volent mieux que des pointures à l’huile et c’est pourquoi les fistons qui ont le nez creux et l’œil amoureux de riches couleurs et de beaux dessins se paient — à bon compte — le luxe de mettre un peu de soleil dans leur carrée : quand une affiche de Chéret, de Steinlen et d’une kyrielle d’autres artisses qui ont de la patte se trouve k leur portée, ils la décollent gentiment et ta replacardent ensuite dans leur cambuse.

Ça, voyez-vous, ça frime richement mieux que les chromos aussi patriotards que bêtasses dont les éditeurs pantouflards inondent.le patelin.

Avoir des affiches est même devenu une mode d’aristos : y a des types qui les collectionnent, comme d’autres ont la manie d’amasser de vieux timbres-poste

Mais foutre, ce n’est pas de ces galbeuses affiches que j’ai l’intention de jaspiner : c’est de celles où, en place d’images, il n’y a que de l’imprimé.

Celles-là, trop peu souvent, sont de riches flambeaux. En effet, les affiches étant muselées par l’impôt du timbre, les fistons à la redresse n’en peuvent placarder à leur gré.

Il n’y a guère que les jean-foutre qui puissent se payer ce luxe. Aussi leurs affiches sont-elles un étalage des malpropretés et des iniquités sociales et, à bien les reluquer, elles sont un enseignement profitable.

Tenez regardez :

Ministère de la Guerre
deux torchons tricolores foutus en croix au dessous indiquent que c’est d’un appel à l’esclavage qu’il s’agit.

Et ça ne rate pas : c’est le conseil de révision…, c’est un appel des réservoirs…

Garfe à vos ! Je pense de suite au général de Pellieux qui nous promet une prompte frottée de prussiens.

Allons, les ostrogots, préparez vos abattis pour la mitraillade…, on charge les canons !

Plus loin, c’est autre chose :
Déjà la retape électorale !

Un bon fieu m’écrit que, pour ne pas titre en retard, la marquis de Carabas fait tapisser d’affiches le patelin. Dans l’arrondissement de Doullens où on voit que :

Élections législatives
Charles Saint, candidat républicain

Républicains ? L’ami de Méline ?

Eh oui, pourquoi ne le serait-il pas ! Qu’est-ce donc qu’un républicain ?

Tout ce qu’on voudra… et même autre chose. Les ratichons sont républicains — pourquoi donc les millionnaires ne le seraient-ils pas ?

Être républicain ne tire pas plus à conséquence qu’être bonaparteux ou orléaniste.

Voici une autre forme de raccrochage ;

Avis
Madame X… a l’honneur de prévenir les personnes qui, pendant les fêtes de Carnaval voudraient, sans être masquées, visiter ses nouveaux salons et admirer sa nombreuse troupe, seront reçues dans son établissement de la rue Z… Numéro…
Les personnes qui désireront rester masquées paieront un droit d’entrée de dix francs.
Qu’on se le dise !

Inutile de vous dire, les camaros, que le numéro en question est gros…, très gros !…

Cette malpropreté est actuellement affichée dans une gentille petite ville du Nord de la France.

La mère X… me semble avoir inauguré un moyen de réclame qui n’est foutre pas banal.

Ce boniment d’une marchande de chair humaine peint bougrement bien l’hypocrisie de la garce de société bourgeoise.

Pourquoi. ne pas dire, tout net :
Femmes à vendre ou à louer…
Telle rue… tel numéro…

Oui, pourquoi ?… Ça serait aussi malpropre, mais-ça serait plus franc.

Attendons-nous, un de ces quatre matins, à voir la maquerelle Sarah coller des petits carrés de papier gour réclamer des ouvrières :
On demande des jeunes ouvrières, fatiguées de coudre des sacs à raison de douze sous par jour.
Travail facile… Pas besoin d’apprentissage !

De la sorte, la chamelle pourra compléter la troupe qui embellit ses magnifiques salons.

Au surplus, on aurait tort de jeter la pierre à la maquerelle : elle n’est pas plus exploiteuse que le patron, — l’un comme I autre pratiquent la traite des blanches.

Du blanc, passons au noir !

Autre affiche :

Étude de Me Léon Boutfol, notaire à Argenteuil
À adjuger
Le dimanche 6 mars, à 2 heures très précises une action des mines de Lens an capital nominal de 1.000 francs, provenant de la succession de Mme… en 100 lots d’un centième d’action, on en entier.
Mise à prix, 100 francs le centième d’action.

C’est pour rien, nom de dieu !

Il y à peine six semaines, les actions de la Compagnie de Lens étaient cotées 400 balles le centième, — soit 40.000 francs l’action entière.

Après la traite des blanches, voici la traite des noirs !

La richarde qui bazarde son action n’a jamais de sa vie fichue les pieds dans une fosse de mine — pas plus que son homme qui lui a laissé ce magot en héritage.

C’était. j’imagine, de bons bourgeois qui vivaient le dos au feu et le ventre à table.

Or, sans qu’ils nient rien fait pour, sans même qu’ils aient remué leur petit doigt, leur argent a fait des petits : 1.000 francs sont devenus 40.000), — sans préjudice des intérêts et des dividendes palpés pendant de nombreuses années.

N’est-ce point ln preuve que le Capital est le produit du travail des autres !

—0—

Hein, les camaros, vous le voyez, le reluquage des affiches a du bon :

Les unes, celles qui sent illustrées, nous sont — quand elles vont l’œuvre d’un astisse qui a de la patte — un rince-l’œil galbeux ;
Et foutre, celles-là. quand il y a mèche, sa fait bien de se les offrir.

Les autres affiches, celles où il y a de l’imprimé, sont presque toujours un étalage dei ignominies sociales.

Celles-ci…, il n’y a qui pisser dessus,
En attendant mieux !