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[Prolétaires, ne vous arrêtez pas ici… encore un effort si vous voulez être des hommes]

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[Prolétaires, ne vous arrêtez pas ici… encore un effort si vous voulez être des hommes]
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. — [S.l.] : [s.n.], [ca ]
description technique (h × l) :
. — 1 affiche (impr. photoméc.) : n. et b. ; 46 × 34 cm
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Prolétaires, ne vous arrêtez pas ici…

Nous ne connaissons pas d’autre beauté, d’autre fête que celle qui détruit l’abus des banalités quotidiennes et des sentiments truqués. "Le criminel rompt la monotonie et la sûreté quotidienne banale de la vie bourgeoise" (Marx). Les délits ne nous importent pas si ce n’est celui qui les contient tous, l’insurrection. C’est cette fête qui contient l’unique sérieux.

Dans une société ou par leurs actions illégales (occupations, séquestrations) les prolétaires sont criminels, les prisons se remplissent de prolétaires. Mais désormais de tous les lieux de l’isolement monte une menace mortelle pour la totalité des condi-tions d’existence : les détenus qui un peu partout (et dernièrement à Lyon) ont déchainé leur révolte désespérée le savent bien. Tous les acrobates de la pensée progressiste qui affirment que "la cause des fautes des individus est à rechercher dans la société", omettent toujours de dire de quelle société il s’agit et quelles sont les fautes réelles qui tàchent les individus.

Un journaliste qui mentionne : "Les détenus eux aussi sont des hommes, comme nous, absolument semblables à nous", ignore évidemment la différence entre un bipède bénéficiaire des Droits de l’Homme et un homme qui sait que la liberté de chacun passe par la liberté de tous. Il n’est pas facile de diffuser les idées dans le prolétariat, en toutes circonstances contrôlé par le pouvoir ; mais entre-temps nous pouvons patiemment détruire toutes les fourmis humanitaires une à une. Tous les spécialistes de la pensée séparée qui croient voir dans les révoltes des prisons "la crise du système pénitentiaire dans cette société", ignorent qu’il s’agit plutôt de la crise de cette société qui se manifeste initialement dans les secteurs les plus séparés de son organisation à savoir les prisons.

La révolte des détenus est une révolte contre la société, contre la propriété du travail qui est également la propriété des hommes. Ceux-ci, de la même façon que les bandes de loulou, mais plus radicalement parce qu’à un niveau plus élémentaire de la contrainte, explosent en une fureur qui leur permet de savourer précairement la liberté. Son manque est absolu mais c’est la conscience de ce manque qui se fait aujourd’hui sentir avec plus d’ardeur.

Dans les déclarations inquiètes qui fusent de tous côtés, il est facile de relever une note particulière : ce qui provoque avant tout le pouvoir, c’est le fait que les coupables refusent essentiellement l’indignité de leur qualité sociale et de leur condition séparée.

Les détenus plus que les autres ne se sentent ni coupables, ni résignés. Dans leur révolte se trouve l’affirmation — confuse — d’une liberté totale. Il s’agit, même limitée à une prison assiégée par la police, d’une situation révolutionnaire qui cherche ses formes : le mouvement déchainé par le prolétariat lance son appel, ne laisse rien en dehors de lui et rase toutes les prisons ; au moment où ils peuvent le crier et détruire les portes des cellules, il n’existe plus ni hiérarchie ni prison. Une prison occupée n’est plus une prison, une usine occupée n’est plus un lieu de peine.

Dans les destructions ou les occupations par lesquelles les détenus et les ouvriers ont engagé leur bataille et leur fête, les mots d’ordre mesquins et réformistes sont dépassés par les gestes radicaux dignes de la Commune. Les révoltes des prisons comme les mouvements et les occupations ont eu des airs de fête, (mise à sac et banquets, avec des beuveries monstres, nuits de chansons et musiques et d’authentiques folies). La liberté est le crime qui contient tous les crimes.

La révolution moderne n’est plus la révolution innocente, la révolution stérilisée, la révolution bureaucratique bien menée, la révolution de la stratégie et de l’état-major. La révolution moderne accumule ses éléments en pêchant dans les eaux troubles, avance par des voies transversales et trouve des alliés en tous ceux qui n’ont aucun pouvoir sur leur propre vie et le savent. La révolution des prolétaires est la révolution laide et désordonnée, la révolution trouble, la fête sauvage, parce qu’à la place des phrases est entrée la monstruosité des actes. Chaque geste de révolte est une révolte contre les rapports sociaux existants qui la sus-citent, mais elle doit trouver la voie de la totalité. C’est cette recherche dans les faits qui s’annonce dans la profondeur critique des insurrections des prisons, des occupations d’usines ou de lycées.

L’unité du monde est l’unité de la misère, l’unité du travail-marchandise et de la vente-consommation de la vie. Ceux qui ont transgressé — ou pris à la lettre, ce qui revient au même — les lois de la marchandise ne sont pas adaptés pour vivre dans la société ou règnent les produits de consommation. Ils sont les nègres de la société de classe, les exclus du bénéfice d’être exploités en vue d’une intégration plus profitable. La société où le travail est vendu en tant que marchandise doit être fondamentalement hiérarchique, et cette hiérarchie classique de l’expropriation ne fait que se reproduire et créer partout le racisme et les ségrégations La société de la propriété et de la privation de propriété, de la propriété de choses à travers la propriété d’êtres, trouve sa réponse naturelle dans le vol et le meurtre. Ainsi les détenus sont les esclaves désobéissants, les violateurs non tolérés qui ont menacé les rapports de propriété, base de toute civilisation. Dans leur révolte ces hommes pourraient saccager pendant dix ans sans récupérer la moitié de ce qui leur est retiré quotidiennement. Exclus de la survie organisée, ils demandent la vie. Ils se battent ensemble pour la liberté totale, partout, ou pour la défaite totale.

Par l’union des exclus (prisonniers, ouvriers, jeunes…) l’histoire est en train de produire une bande à Bonnot qui ne peut plus être détruite, le dégoût ineffaçable de la survie et de son prix s’exprime dans les révoltes sans réserve qui voient le jour un peu partout. La précarité de cette révolte exprime à la fois désespoir et espérance.

Les détenus en particulier expriment ainsi une nouvelle conscience de prolétaire dans la conscience de ne pas être isolés. Ils sont l’avant-garde des hommes perdus qui ont conscience de l’être. La lie de la société est ainsi à l’avant-garde de la révolution, "la mauvaise part qui produit le mouvement de l’histoire en commençant la lutte" (Marx).

Un coup de vent et un coup de main sont suffisants pour que le jeu devienne total, pour que tout soit remis en jeu, pour que la violence destructrice libère sa positivité. "Du plaisir de créer au plaisir de détruire il n’y a qu’une oscillation qui détruit le pouvoir".

… encore un effort si vous voulez être des hommes

(Imprimerie spéciale ZIG)


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Aff0019 - 204943 (cira L)