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« L’Affiche du Père Peinard » (article du 30 juillet 1893)

1893

Article [du Père peinard, Émile Pouget] paru dans Le Père Peinard n° 228 du 30 juillet au 6 aout 1893.

En préparation de la campagne électorale pour les législatives du 20 aout 1893 (une affiche parait à cette occasion dans le n° 230). Émile Pouget livre un long article d’explications donnant une idée de l’affichage militant dans le contexte de l’époque et sur l’utilité du « candidat pour la forme ».

L’Affiche du Père Peinard

Eh foutre, les camaros, il s’agit d’ouvrir les quinquets !

Les élections s’amènent à la vapeur : comme je viens de vous le dire, elles sont fixées au 20 aout.

Or donc, les bons bougres qui veulent profiter de l’occase pour faire de la riche propagande, et empêcher les candidats d’embobiner le populo jusqu’à la gauche, n’ont qu’à se patiner.

Le temps presse, foutre !

Pour ce qui est de bibi, je vas me fendre d’une affiche du Père Peinard au Populo, que je vas tâcher de bichonner ferme, afin de la rendre la plus galbeuse possible.

L’affiche sera du format des anciennes, quart colombier, elle sera livrée à raison de quarante sous le cent, frais d’expédition compris.

Je voudrais pouvoir en fournir des mille et des cents, gratis pro deo. Hélas ! y a pas plan, je ne suis pas assez à la hauteur : j’ai pas de compte ouvert à la Banque.

Pour lors, faut que les camaros y mettent du leur : quand on n’est pas des bœufs, on fait ce qu’on peut !

Imprimer et expédier l’affiche, c’est bien, mais foutre, c’est pas tout : s’agit ensuite de la placarder.

Or, ceci mérite un brin d’explications, car il n’est pas utile de se buter contre la loi au risque de s’y écraser un peu le piton.

Pour que les affiches puissent être collées sans timbres, elles doivent être signées par un un candidat. Et comme les bouffe galette ont pondu une sacrée loi interdisant qu’un type se porter candidat dans plus d’une circonscription, il s’en suit qu’il faut autant de candidats que de circonscriptions. D’un bout de la France à l’autre, y a 7 à 800 dépotés à nommer, — c’est à peu près autant de candidats abstentionnistes qu’il faudrait pouvoir fourrer dans les pattes aux ambitieux.

C’est pas difficile, nom de dieu !

Y a sûrement pas de patelin où il n’y ait pour le moins un anarcho. Il n’en faut pas plus pour faire de la riche besogne, cré pétard !

Le gas n’a qu’à se porter candidat. Pour cela, il écrit une babillarde comme ci-dessous :

Je soussigné, Tartempion, demeurent rue des Pommes-Cuites, à Tel-Endroit,
Vu la loi du 17 juillet 1889,
Déclare me porter candidat aux élections législatives du 20 août 1893, dans la circonscription de Trirfouilly-les-Chaussettes.
Tel-Endroit, le – août 1893.
Signé Tartempion.

On laisse sécher, on cachète, on fout un timbre et on envoie le poulet par la poste au maire de Tritifouilly-les-Chaussettes.

À Paris, c’est au préfet de la Seine qu’il faut expédier la déclaration.

Dans les vingt-quatre heures on reçoit un récépissé, et le tour joué : on est candidat !

Ensuite, il n’y a plus qu’à faire œuvre de candidat. Si c’est des affiches du Père Peinard au Populo qu’on veut foutre sous le blair des prolos, on colle sen nom au bas des affiches, soit avec un timbre humide, soit tout bonnement avec une plume : « Vu, Tartempion, candidat pour la circonscription de Trifouilly-les-Chaussettes. »

Pour lors, ça y est en plein : les affiches sont archi-légales !

Les camaros qui voudront en recevoir de toutes prêtes, avec le paragraphe au bas, n’auront qu’a donner le nom du candidat et de la circonscription et ils recevront les flanches prêts à être collés.

Seulement, les aminches, faut se patiner dur et ferme envoyez autant de pièces de quarante sons que vous voudrez de centaines d’affiches.

Et dare dare, nom de dieu !

Faut que les demandes rappliquent à la vapeur, afin qu’on puisse fixer illico le tirage.

Que ça ronfle, foutre ! Remédions à la purée dont les gas à la redresse sont bougrement affligés, par une activité faramineuse.

Des copains m’ont demandé s’il y a nécessité d’être du patelin, ou même d’y percher, pour s’y porter candidat.

Non, foutre, y a pas besoin de ça !

On peut habiter Carpentras et sans se déranger se porter à Paris.

C’est bon à savoir pour les gas qui habitent les petits patelins où les patrons font la pluie et le beau temps, et où, conséquemment, ils ne voudraient pas permettre à un de leurs esclaves de débiner le truc électoral dans leur royaume.

Pour lors, le gas n’a qu’à se mettre en rapport avec des camaros d’un patelin oit il est inconnu : il expédie sa déclaration au maire de l’endroit, et ça fait le joint.

D’ailleurs, si les fistons avaient besoin de renseignements, qu’ils ne se gênent pas de causer, je leur expliquerai le fourbi.

J’en reviens aux affiches ; c’est des flambeaux que la gouvernante n’a pas à la bonne, vu que c’est les idées foutues à la portée de tout le monde :

Aussi bien des indifférents qui n’ont jamais rien voulu savoir, — que des pauvres purotins que le manque de braise empêche de se payer un caneton.

Quand y a une affiche sur un mur, elle tire les yeux du populo, — de même que la camoufle attire les papillons.

Si c’est du nanan qui est imprimé sur le papier, on se tasse autour, on n’en perd pas une ligne : qu’on le veuille ou pas, forcément il en reste quèque chose.

L’indifférent s’en va avec un bon germe dans la citrouille ;

Le pauvre déchard se tire un. brin ragaillardi par les bonnes paroles qu’il s’est appuyées.

La gouvernante sait cela, nom de dieu ! Aussi elle a foutu un sacré impôt sur les affiches, de manière que les bous bougres n’en puissent user couramment.

Y a qu’en temps d’élection, alors que les jean-foutre de la haute ont besoin de parler au populo, pour lui monter le job, que les affiches sont affranchies de l’impôt.

Nous serions rudement poires de laisser passer une si belle occase sans en profiter, nom de dieu !

Quoi, on laisserait toute la charibottée d’ambitieux promettre au populo des couillonnades faramineuses, pour se faire élire dépotés, sans gueuler que ces jean-foutre de politicards sont des menteurs ?

On regarderait cette comédie s’accomplir sans y foutre son grain de sel ?

Les saltimbanques seraient trop contents, mille tonnerres !

Quand on a une idée dans la peau, c’est pas pour l’y laisser moisir : c’est pour la répandre et tâcher qu’elle fasse des petits. Or donc, que les bons bougres qui ont du bagout aillent dans les réunions électorales. Si les politicards ne veulent pas les laisser jacter qu’ils se mettent candidats pour la frime ! De cette façon, y aura pas mèche de leur fermer le bec.

Qu’ils démontrent aux prolos, encore empêtrés de préjugés, que nous pourrions volailler des siècles et des siècles, sans rien changer à notre misère actuelle.

Qu’ils prouvent que tous les politicaillons qui viennent mendigotter les suffrages sont des fumistes ; que tous, qu’ils soient socialos, opportunards ou réacs, ne peuvent rien de rien ! Toutes les réformes qu’ils promettent sont des mensonges pour nous. empaumer.

Conséquemment, au lieu de déposer des torche-culs dans les tinettes électorales, faut s’en éloigner comme de la peste.

Il ne faut voter pour personne, nom de dieu !

Le riche turbin commencé dans leu réunions se continuera dans les rues par les affiches : que les fistons à la redresse qui s’improviseront ne se laissent pas épater par les magnes des roussins, des pandores ou des sergots.

Les affiches étant tout à fait légales, on ne peut pas leur défendre de les coller, ni les arracher.

Par exemple, les pestailles essayeront évidemment de l’intimidation : c’est aux bons bougres à n’y pas coupe !

Allons, les aminches, hardi foutre !

Attelons-nous au turbin et on aura la jubilation de faire rogner ferme les candidats.



Un errata parait dans le numéro suivant (n° 229 du 6 au 13 aout 1893) :

L’Affiche du Père Peinard

Eh mille marmites, avec ces cochonnes de lois, on n’est jamais sût d’avoir mis dans le noir !
On se fout le doigt dans l’œil plus souvent qu’à son tour.
C’est ce qui m’est arrivé la semaine dernière en expliquant aux camaros la marche à suivre pour se bombarder candidat ; j’ai fait une petiote erreur, que beaucoup de gas ont rectifié d’eux-mêmes.
Voici exactement comment s’y prendre :
Une fois la déclaration écrite, telle que j’ai dit, faut la porter au maire du patelin ous qu’on perche, afin que le type foute son cachet dessus.
Une fois légalisée on expédie la déclaration au préfet du département ousqu’on se porte.

Puis, comme je l’ai dit, on n’a qu’à attendre : le récépissé vous rapplique, au plus tard, au bout de quarante-huit heures.
Ensuite de quoi, y a plus qu’à se foutre aux trousses des candidats et à les emmerder dans les grands prix : c’est à tous qu’il faut tailler des croupières !
Aux socialos crétins, aux bourgeois, aux socialos de tous poils… à tous… à tous, foutre !

Les copains qui ont commandé des affiches les recevront en même temps que le présent numéro.
Pour ceux qui n’ont pas encore bougé, qu’ils se secouent, foutre !
C’est pas tous les jours qu’on a la veine de coller des affiches sans timbres, or donc, quand vient la saison faut y aller dare dare !

Autre chose : le prochain numéro (n° 230) sera accompagné de l’affiche du Père Peinard au Populo, donnée en supplément [1].
Si à cette occasion, y a des copains vendeurs qui désirent que leur envoi soit augmenté qu’ils fassent signe vivement : y a pas de temps à perdre !

Notes

[1EN fait, c’est dans le numéro d’après, le 231 (20-27 aout 1893)que l’affiche-supplément parait.