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Pour les affiches du Père Peinard au populo, in Le Père Peinard (3-10 avril 1898)

1898

Article paru dans Le Père Peinard, 2e série, n° 76 (3-10 avril 1898).

Comme je l’ai dégoisé la semaine dernière, c’est le 8 mai qu’aura lieu la grande foire électorale pour le recrutement des bouffe-galette.

Si les copains veulent profiter de la circonstance pour fiche leur grain de sel dans cette putainerie, ils n’ont foutre pas de temps à perdre. Comme nous ne sommes pas très galettards il faut remédier au pognon absent par une très gronde activité.

Il y a deux grands moyens pour faire de la propagande anti votarde : primo, les affiches ; deuxièmo, les réunions.

Parlons d’abord des affiches :
Les affiches sont des flambeaux que la gouvernace n’a pas à la bonne, vu que c’est tes idées foutues à la. portée de tout te monde :
Aussi bien des indifférents qui n’ont jamais rien voulu savoir, que des purotins que le manque de braise empêche de se payer un canard.

Quand il y a une affiche sur un mur elle tire les yeux du populo — de même que la camoufle attire les papillons.

Si c’est du nanan qui est imprimé sur le papier on se tasse autour, on n’en perd pas une ligne : qu’on le veuille ou pas, forcément, il en reste quelque chose !

L’indifférent s’en va avec un bon germe dans la citrouille,
Le pauvre déchard se tire, un brin ragaillardi par le flanche qu’il s’est envoyé.

La gouvernance sait cela, nom de dieu ! Aussi elle a collé un sacré impôt sur les affiches, de manière que les bons bougres n’en puissent user couramment,
En temps d’élections seulement — alors que les jean-foutre de la haute ont besoin de parier au populo pour lui mouler le job, — alors seulement, les affiches sont affranchies de l’impôt.

Nous serions rudement poires de laisser passer une si riche occase sans en profiter.

Quoi, on laisserait toute la charibotée d’ambitieux tapisser les murs de menteries dégueulasses ? On assisterait insouciants à leur raccrochage électoral ? On reluquerait cette cochonne de comédie sans y foutre notre grain de sel ?

Les saltimbanques seraient trop contents, mille tonnerres !

Quand on a une idée dans la peu c’est pas pour l’y laisser moisir ; c’est pour la semer aux quatre vents du ciel, — et tâcher qu’elle fasse des petits.

Or donc, patinons-nous ferme, afin que, sitôt la foire électorale officiellement ouverte, on soit prêts à placarder des affiches, en veux-tu en voilà !

—o—

Pour ce qui est do bibi, je vais me fendre d’une affiche du Père Peinard au Populo, qu’on va tâcher do rendre aussi galbeuse que possible.

Elle sera du format des anciennes, quart-colombier.

Je voudrais pouvoir en fournir des mille et des cents, au grand œil, mais il n’y a pas mèche : Rothschild n’a pas encore abdiqué en ma faveur !

Pour lors, il faut que les camaros y mettent du leur, — quand on n est pas des bœufs, on fait ce qu’on peut !

L’affiche du Père Peinard au Populo sera d’ailleurs d’un prix bougrement abordable ; elle sera expédiée aux prix suivants :
Le cent, franco, 1 fr. 50.
Aux copains qui pourront s’en payer un millier, le mille sera expédié, .franco, pour 13 francs.

Que les camaros qui ont à la bonne la propagande par affiches se décarcassent et qu’ils envoient leurs demandes au plus vite, afin qu’on puisse fixer le tirage, car l’affiche du Père Peinard au Populo sortira du four dons une dizaine.

—o—

Autre chose : il ne s’agit pas que d’imprimer et d’expédier les affiches,
Il s’agit ensuite de les placarder !

Or, ceci mérite un brin d’explications, car il n’est pas utile de se buter contre la loi, au risque de s’y écraser un peu le piton.

Pour que les affiches puissent être collées sans timbres, elles doivent être signées par un candidat. Et comme il y a dans l’arsenal légal une garce de loi interdisant à un type de se porter candidat dans plus d’une circonscription, il s’en suit qu’il faut autant de candidats que de circonscriptions. D’un bout de la France à l’autre il y a à peu prés 600 bouffe-galette à nommer — et foutre, pour bien faire, il faudrait qu’il y ait à peu près autant de candidats abstentionnistes qui se fichent dans les jambes des ambitieux, candidats pour de bon.

Ce n’est pas la mer à boire, nom de dieu !

Y a sûrement pas de patelin où il n’y ait au moins un anarcho. Il n’en faut pus plus pour faire de la riche besogne : il en est des bons lieux comme des microbes, — un seul suffit pour fiche la fermentation en route !

Donc, partout ou il y a un copain déluré, le gas n’a qu’à se bombarder candidat pour la frime, faire venir des affiches du Père Peinard au Populo et, sa journée finie, se munir d’un seau, de colle de pâte… et je te colle, nom de -dieu !

Pour se bombarder candidat il y a quelques formalités à remplir. Les voici résumées :
On se fend d’abord d’une babillarde ainsi conçue :
Je soussigné, Tartempion, demeurant rue des Pommes-Cuitas, à Tel-Endroit,
vu la loi du 17 juillet 1889,
Déclare nue porter candidat aux élections législatives du 8 mai 1898, dans la circonscription de Trifouilly-les-Chaussettes, département des Andoulliards.
Fait à Tel-Endroit, le… 1898.
Signé : Tartempion.

On laisse sécher ; puis, on s’en va à la mairie, accompagné de deux témoins qui doivent parapher eux aussi la déclaration de candidature afin de certifier que Tartempion est bien Tartempion et il n’y a plus qu’à réclamer le cachet de mossieu le maire — cachet qui s’obtient illico.

Ensuite, il ne reste qu’à envoyer la déclaration de candidature au préfet du département ousqu’on se colle candidat, — et dans les quarante-huit heures on reçoit un récépissé de la Déclaration de candidature… On peut dès lors se foutre en campagne et coller des affiches à tire-larigot !

À supposer qu’un copain de Paris veuille se porter candidat à Saint-Quentin ; s’il perche dans le XVIIIe. il ira faire viser sa déclaration à la mairie du XVIIIe et il l’expédiera ensuite au préfet de l’Aisne qui lui enverra le récépissé.

Si le copain en question veut se porter à Paris c’est — toujours après le visa de la mairie — au préfet de la Seine qu il doit expédier sa déclaration.

Ça fait, on est candidat !

On n’a donc plus qu’à opérer : si c’est des affiches du Père Peinard au Populo qu’on veut fiche sous le blair des prolos, on colle son nom au bas des affiches, à un coin laissé en blanc, soit avec un timbre humide, soit tout bonnement à le plume : « Vu, Taricrnpion, candidat pour la circonscription de Trifouilly les Chaussettes. »

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Dans les petits patelins, plus que dans les grandes villes, il y a des copains qui, pour ne pas perdre leur boulot, ne pourront pas se risquer à se bombarder candidats.

Les frangins en question se trouveront donc dans le pétrin et, s’il n’y avait pas un joint pour leur dégotter un candidat, ils seraient obligés de coller des timbres sur les affiches, — et ça couterait chérot !… Et, du coup, ce serait du pognon bougrement mal dépensé.

Pour tourner la difficulté, le père Peinard fait appel à l’initiative des copains : que ceux qui s’en foutent, — tant de Paris que de province, — ceux qui ne craignent pas pour leur situation, fassent parvenir leur nom et leur adresse aux bureaux du Père Peinard, de façon qu’on puisse leur indiquer un patelin où, en s’y bombardant candidats, ils faciliteront la propagande aux anarchos de l’endroit.

Il est inutile d’ajouter que pour se porter candidat, même à l’autre bout de la France, il n’y a pas besoin de quitter son coin.

De la sorte, en s’entr’aidant, il y aura mèche d’élargir considérablement le champ de la propagande : dans les petits trous où les patrons font la pluie et le beau temps, et où, par conséquent, ils ne voudront pas permettre à un de leurs esclaves de débiner le piège électoral, grâce aux initiatives des copains d’autres régions les cameras de la localité pourront, en douce, faire une riche propagande.

Il s’agit donc, les fistons de ne pas s’endormir sur le rôti !

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J’avais l’intention de jaspiner aux copains des réunions électorales mals, va te faire foutre, nia tartine sur les affiches s’est tellement allon-gée que ce sera pour la semaine prochaine.