Delémont

 

 
 

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    [Manifeste ... nous affirmons qu’il est temps de poser sérieusement la question de la dissolution de la Suisse]

    notice :
    Image (fixe ; à 2 dimensions)
    [
    Manifeste ... nous affirmons qu’il est temps de poser sérieusement la question de la dissolution de la Suisse]. — Delémont : D’autre part : Groupe à rebours, [ ?]. — 1 affiche (impr. photoméc.), coul. (deux  : rouge , noir , papier blanc ) ; 51 × 32 cm.

    • Affiches par pays  : Suisse
    • Lieux d’archivages  : CIRA (Lausanne)
    • Liste des thèmes  : manifeste  ; politique
    • Géographie, géopolitique et Histoire  : Suisse
    • Noms cités (± liste positive)  : Born, Maurice (1943-2020)
    • Presse citée  :
    • Vie des mouvements  :
    notes :
    descriptif :


    [ texte ]

    texte :

    Manifeste

    L’essayiste Denis de Rougemont voyait dans la Suisse fédéraliste une préfiguration possible de l’Europe en devenir.

    À ce jour. nous devons à la vérité de lui donner tragiquement raison. Il avait pourtant négligé de nous préciser que son augure était catastrophique...

    À ce jour, nous n’avons plus d’excuses. Suivant l’évolution de nos voisins, nous savons maintenant ce que le passé nous réserve... La Suisse s’avère être le modèle du monde que prépare la technocratie européenne. Elle préfigure, avec le quart de siècle d’avance que lui a valu l’évitement des conflits. l’ennui monstrueux d’un avenir planifié pour les États européens qui l’encerclent.

    À ce jour, nous comprenons qu’un siècle et demi passé dans la sainte forteresse d’un laboratoire, à fuir le microbe des remises en cause, à éviter les ferments qui induisent la tolérance, à conforter dans la durée l’excellence de nos maux, aboutit à une définitive solidification. Les leurres d’une possible ascension sociale et des lendemains qui chantent ont eux-mêmes regagné le magasin des accessoires. Utiles tant que l’homme était force de travail, tant aussi que lui restait le choix d’être ou non consommateur. ils ne sont plus bons qu’à exporter vers les pays de misère dont nous vivons. Ici, plus rien d’aérien ne se meut, plus rien de liquide ne s’agite, tout s’est définitivement pétrifié. la Suisse est de marbre.

    À ce jour, rejoignant le grand rêve totalitaire qui voulait que les hommes occupent dans l’organisation du monde la place définitive à laquelle les destinait la qualité « de leurs tissus et de leur âme », nos maîtres sanctionnent l’évolution, la dominent de la perfection de leur organisation sans faille. Maintenir la situation à un stade qui fut mythiquement celui du profit maximal de la classe marchande reste la seule utopie helvétique. Mortelle utopie ! Depuis longtemps, rien n’est plus à décider, tout est accompli, tout est déjà connu. Et voilà pourquoi Peter Bichsel s’évertue en vain à rechercher les lieux d’une discussion, à trouver une Suisse qui soit celle du citoyen suisse. La persistance de l’esprit du Réduit national. en empêchant toute connexion avec le grand large, a favorisé la mise en place d’une pensée étriquée tout en fomentant la construction du plus grand décor jamais conçu par l’homme. grandeur nature. grandeur culture. Des millions de figurants habitent et font vivre cet artefact si conforme au rêve immobile des maîtres de l’économie, dans un respect religieux de leur rôle infiniment répété. La Suisse est bien devenue ce Disneyland sans âme, la Suisse ne ment pas, la Suisse est un mensonge.

    À ce jour, nous saisissons comment nos pouvoirs, usant tantôt du visage de la tradition, tantôt de celui des prétendues exigences de la modernité, ont perverti le réel de nos existences. Ils ont conservé, contre la vie, ce qui fut normal auparavant et qui devait s’effacer, le transformant en accessoire factice ; ils ont comblé de reconstitutions artificielles le vide créé par la destruction volontaire des versions authentiques qui les gênaient. Ainsi s’est installé le bric-à-brac qui constitue le matériel de la pensée helvétique.

    À ce jour, le mensonge triomphant, ayant gagné en conscience satisfaite ce qu’il perdait en désir d’inventer, a fait de nous ses complices et ses otages Confondant l’être et le rôle assigné, voici qu’au risque de nous détruire, nous prolongeons à notre tour le mensonge dont nous mourons lentement. Nous recouvrons tristement — avec une tristesse qui nous est devenue nature — la médiocrité ambiante du voile d’un prétendu réalisme. Dans ce théâtre où nous répétons notre rôle sans conscience de l’avoir jamais appris, notre veulerie se réfléchit dans la couardise européenne face à la Yougoslavie dépecée ; notre égoïsme trouve son écho dans les lâches mesures contre les réfugiés, dans le pillage du pauvre monde ; notre impuissance s’avère aussi totale que celle des États devant les cohortes de travailleurs jetés à la rue par la sainte économie de marché.

    À ce jour, réduits à assumer une Suisse mythique, à la porter à bout de bras, les intellectuels ont dans leur majorité opté pour le rôle de « gardiens de la prison », oubliant que leur place n’est pas au côté du pouvoir, mais bien dans l’affirmation et la défense de valeurs intemporelles et extérieures au réalisme de cet État qui. leur donnant le droit de penser librement, leur en ôte la faculté Pour reprendre la formulation de Julien Benda : « Le pouvoir temporel gouverne selon l’injustice ; le pouvoir spirituel condamne cette injustice, et la subit à son tour. » Les « clercs » ont oublié : le désir de gloire, l’appât du gain sécuritaire les ont conduits à épouser toutes les querelles partisanes, toutes les idées pratiques de ce monde de l’utilité, et à prétendre pourtant s’étonner de l’accusation de trahison ou d’outrage dont on les accable dès qu’ils osent relever encore la tête. La confusion de la pensée est telle que la plupart renoncent, préférant s’adonner à l’écrit verbe, à la culture désincarnée, nombrilisme clos au monde.

    À ce jour, et devant cette survie amère et répétitive érigée en norme, devant cette volonté niveleuse n’offrant plus de droit à la différence que dans la grossièreté, la trivialité d’une consommation hiérarchisée, nous disons que la Suisse apparaît bien comme ce « Milieu du monde » autour duquel ce qui reste d’espoir de vie, de différences proclamées, d’odeurs incontrôlées, de désir affiché, de violence assumée se trouve entraîné dans l’orbite dont ce pays constitue le trou noir.

    À ce jour donc,
    - parce que nous refusons la sombre menace de Victor Hugo, prévoyant que « la Suisse, dans l’histoire, aura le dernier mot »
    - parce que le temps des rafistolages politiques, des nécessaires critiques dont on espère la prise en compte est bien révolu ;
    - parce que dans cette logique, les idées utiles ne peuvent qu’être contraintes à servir celles du pouvoir ;
    - parce que si cette démocratie refuse de mettre fin au scandale du déve-loppement cumulatif prétendument irréversible et à son cortège de chômeurs, il est probable que les chômeurs s’en saisiront et mettront fin à cette prétendue démocratie ;
    - parce que dans son désir de mort, ce monde tente aujourd’hui de réduire ce qui reste de nature à l’humaine culture ;
    - parce qu’enfin ce désir. à trop être comprimé, finira par exploser dans d’ignobles déviations qui pourraient faire le totalitarisme de demain ;

    nous affirmons qu’il est temps de poser sérieusement la question de la dissolution de la Suisse.

    Après sept cents ans d’hésitations et cent cinquante ans de parades ennuyeuses, après les derniers soubresauts de vie, apparus à la faveur de la conjoncture occidentale du demi-siècle — déchirures vite colmatées au pseudo-ciment social —, notre peep-show de la démocratie peut bien, profitant de l’anniversaire de sa Constitution, avouer qu’il n’a jamais été qu’un appât et relâcher enfin ses prisonniers-voyeurs. Le moment semble idéal pour dépasser les bornes avec quelques initiatives précises :
    - puisque les sujets qui y naissent, qui y vivent n’ont pas tous le droit de vote. désertons les bureaux de vote, encourageons activement l’abstention ;
    - puisque l’histoire est falsifiée du 4 août au 1er août, puisque seule est retenue la mythologie qui nous fossilise, désertons les commémorations, encourageons l’amnésie nationale ;
    - puisqu’il n’y a plus de place à l’intérieur, puisque les quotas de fait excluent les femmes, les étrangers et les frontaliers, désertons leurs salons, devenons frontaliers, encourageons la marginalité. Et que la marge gagne bientôt toute la page ;
    - puisque les moyens ne suffisent plus à la satisfaction des besoins élémentaires de tous, puisqu’on pleure sur le sort des prétendus exclus, prenons le terme pour la chose, excluons-nous, c’est là ce que nos maîtres craignent le plus :
    puisque les intérêts des possédants sont érigés en priorité nationale, que cet État est leur propriété, refusons de participer à leur défense, tournons le dos à leur armée ;
    - puisque l’Europe est le dernier jouet à la mode, refusons de rejoindre l’un des camps. Évitons aussi d’agiter le hochet d’une Europe des régions : elle sent par trop la logique surannée des empires. Contentons-nous d’organiser notre dissidence. Les maquis se fédéreront bien comme ils l’entendront !

    Puisque enfin la seule loi reste l’économie, refusons de faire celle de la réflexion.

    Groupe à rebours

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    sources :

    Écrit par Maurice Born ? Cette affiche accompagnait l’ouvrage : Dissolution de la Suisse : dix solutions !.